Axe 2 • Normes et créativité

Direction: Erwan Burel

La question des normes sociohistoriques et culturelles s’avère incontournable pour traiter les représentations de genre, qu’elles soient abordées sous l’angle sociologique, performatif ou discursif et politique. Plus encore, les outils conceptuels que proposent les études de genre sont appelés à approfondir, dépasser et étendre leur champ d’analyse initial, pour être appliqués à toutes les formes de représentation de l’altérité.

Ainsi, l’Axe 2 déplace la problématique de l’identité vers la question de la norme sexuelle, linguistique, politique ou socio-culturelle. Ce recentrage sur la norme peut non seulement être tenu pour une conséquence manifeste des travaux menés ces dernières années, mais aussi pour la structure qui organise l’axe en trois sous-parties pour les années à venir. Les séminaires, colloques et autres activités organisées dans chacun des sous-axes seront associés, reliés entre eux, pour permettre de saisir l’amplitude du champ culturel et théorique des normes, leur mode de fonctionnement, c’est-à-dire de construction-déconstruction-reconstruction permanent.

1. Dissidences intersectionnelles

Un projet sur les dissidences de genre et les textualités, mené en collaboration avec l’Université de Lausanne, a permis d’analyser de manière comparatiste un corpus d’œuvres contemporaines où l’image récurrente de la maternité a émergé comme une problématique inattendue dans le cadre de l’émancipation lesbienne. Une publication collective de ces travaux est en cours. Les “Textualités Trans” sont en projet tandis que la maternité est précisément amenée à être repensée dans des cadres non hétéronormés, historiques, culturels, ou contextualisés par des questionnements contemporains (GPA, PMA, TRANS), notamment occidentaux.

Un autre projet surgit pour ce nouveau quinquennal autour des enjeux liés à la décolonialité : un projet sur le théâtre latino-américain contemporain qui permettra d’explorer un champ artistique et une aire géographique particulièrement féconds en termes de pensée décoloniale, mais qui favorisera aussi une ouverture à d’autres pratiques artistiques et culturelles et à d’autres aires travaillées par les membres de l’axe. La question décoloniale nous rappelle les liens étroits et porteurs de sens entre le genre, la race et la sexualité, ainsi que toute une série de catégories qui nous poussent à adopter une vision intersectionnelle et à penser les normes et leur dépassement au croisement de multiples focales.

Par ailleurs, dans le cadre des théories postcoloniales, les Subaltern Studies se sont étendues à plusieurs champs disciplinaires ; venant de l’Inde au début des années 1980 pour interroger l’historiographie universitaire occidentale, elles furent recyclées aux Etats-Unis dans une problématique postmoderniste puis absorbées par les Cultural Studies, devenues également attractives en Europe pour les anthropologues comme pour les héritiers d’Edward Said. La théoricienne Gayatri Chakravorty Spivak permet notamment de relire la littérature et les représentations artistiques en portant son attention aux femmes frappées d’extériorité au sein d’une culture dominante, des “sans-voix” marginalisées et invisibilisées au statut social subalterne.

2. Sortir les femmes de l’invisibilité

Un projet éditorial international ambitieux sur les cinéastes femmes espagnoles et latino-américaines a mis en évidence la difficulté pour les femmes de s’imposer dans l’univers cinématographique masculin, une norme que la notion d’émergence vient démasquer et bousculer. Dans la continuité de ce travail, l’exposition “Mémoires en mouvement-ouvrières” a cherché à rendre visible l’activité ouvrière des femmes dans le passé industriel de la région franc-comtoise à partir de photographies et de documents visuels. Par ailleurs, d’autres recherches sont menées atour de la relation ambivalente entre féminisme et socialisme en Allemagne : le mouvement socialiste allemand du XIXe siècle a joué un rôle précurseur dans la lutte pour l’émancipation des femmes ; cependant, dans une période d’émergence de la notion de classe, la social-démocratie refusait les assignations identitaires (de genre, de race, etc.), ce qui l’a amenée à reléguer les revendications féministes au second plan.

Par ces travaux et par les projets à venir, il apparaît que l’un des objectifs de l’équipe est bel et bien celui de sortir les femmes de l’invisibilité, tout en interrogeant la parité au regard de la diversité et des catégories de genre-classe-race dont il reste à déterminer les modes normatifs de minoration.

3. Modernités des hétérotopies : discours, genre, création

Ce projet a donné lieu à des séminaires, un atelier d’écriture créative pour les étudiants de Lettres Modernes, et un colloque interdisciplinaire organisé en collaboration avec l’Université de Split (Croatie) dont les actes ont été publiés. La notion d’hétérotopie est également concernée par la question des normes qui, dans l’espace social, sont détournées pour signaler des modes alternatifs d’existence, mais aussi des impensés générationnels (comme le 3e âge) et des exclusions plus ou moins invisibilisées (normes physiques, statut d’indésirable). Les fanzines produits par les étudiants dans les ateliers d’écriture ont montré la violence de ces normes sur leurs corps et leur vécu : d’où la nécessité de continuer à leur donner la parole en réalisant précisément des lieux alternatifs d’expression (podcast, vidéo).