La question des normes sociohistoriques et culturelles s’avère incontournable pour traiter les représentations de genre, qu’elle soit abordée sous l’angle sociologique (Pierre Bourdieu, John Gagnon), performatif (Judith Butler) ou discursif et politique (Michel Foucault). Plus encore, les outils conceptuels que proposent les études de genre sont appelés à approfondir, dépasser et étendre leur champ d’analyse initial, pour être appliqués à toutes les formes de représentation de l’altérité. Ainsi, l’Axe 2 déplace la problématique de l’identité vers la question de la norme sexuelle, linguistique, politique ou socio-culturelle. Issu initialement du pôle « Identités sexuées : théories et représentations culturelles », formé en 2009, devenu « Créations et identités » en 2017, l’axe 2 du CRIT s’est en effet orienté vers la mise en place de plusieurs projets internationaux qui ont engagé un questionnement sur la norme. Or ce questionnement plus ou moins formulé, clair ou implicite, est devenu central, et il permet d’articuler aujourd’hui des réflexions qui autrement ne se seraient pas croisées.
Aussi ce recentrage sur la norme peut non seulement être tenu pour une conséquence manifeste des travaux menés ces dernières années, mais aussi pour la structure qui organise l’Axe 2 en trois sous-parties pour les années à venir : 1) normativité et genre : la maternité, 2) hétérotopies, 3) penser la parité-représenter la diversité. Si bien que les séminaires, colloques et autres activités organisées dans chacun des sous-axes seront associés, reliés entre eux, pour permettre de saisir l’amplitude du champ culturel et théorique des normes, leur mode de fonctionnement, c’est-à-dire de construction-déconstruction-reconstruction permanent.Trois projets phares internationaux ont permis de dégager les normes de manière à les rendre visibles :
Mené en collaboration avec l’Université de Lausanne, Groupe de Recherches ILLEs (Imaginaires lesbiens dans la littérature en espagnol), soutenu par le FNS (100012_197159), ce projet a permis d’analyser de manière comparatiste un corpus d’oeuvres contemporaines (Argentine, France, Grande Bretagne), où l’image récurrente de la maternité a émergé comme une problématique inattendue dans le cadre de l’émancipation lesbienne. La rédaction collaborative poursuivie en 2021 sur « Textualités lesbiennes et relations ancillaires : du lien amoureux à l’interdépendance littéraire » est en cours de publication. Les “Textualités Trans” sont en projet pour les deux prochaines années, tandis que la maternité est précisément amenée à être repensée dans des cadres non hétéronormés, historiques, culturels, ou contextualisés par des questionnements contemporains (GPA, PMA, TRANS), notamment occidentaux.
Ce projet a donné lieu à des séminaires, un atelier d’écriture créative pour les étudiants de Lettres Modernes, et un colloque interdisciplinaire organisé en collaboration avec l’Université de Split (Croatie) en juin 2020, dont les actes sont en cours de publication (pour décembre 2022 dans Cross Cultural Studies Review sous la direction de Nella Arambasin). La notion d’hétérotopie est également concernée par la question des normes qui, dans l’espace social, sont détournées pour signaler des modes alternatifs d’existence, mais aussi des impensés générationnels (comme le 3e âge) et des exclusions plus ou moins invisibilisées (normes physiques, statut d’indésirable). Les fanzines produits par les étudiants dans les ateliers d’écriture ont montré la violence de ces normes sur leurs corps et leur vécu : d’où la nécessité de continuer à leur donner la parole en réalisant précisément des lieux alternatifs d’expression (podcast, vidéo).
En portant leur attention sur les cinéastes femmes espagnoles et latino-américaines Annette Scholz & Marta Álvarez ont monté un projet éditorial international ambitieux (Cineastas emergentes Mujeres en el cine del siglo xxi, Madrid/Frankfurt, Iberoamericana / Vervuert, 2018; Entrevistas con creadoras del cine español contemporáneo. Millones de cosas por hacer, Peter Lang, 2021), qui a mis en évidence la difficulté pour les femmes de s’imposer dans l’univers cinématographique masculin, une norme que la notion d’émergence vient démasquer et bousculer. Dans la continuité de ce travail, l’exposition “Mémoires en mouvement-ouvrières”, a cherché à rendre visible en 2021 l’activité ouvrière des femmes dans le passé industriel de la région franc-comtoise à partir de photographies et de documents visuels. Sortir les femmes de l’invisibilité est l’objectif que l’équipe poursuit en interrogeant la parité au regard de la diversité, des catégories de genre-classe-race dont il reste à déterminer les modes normatifs de minoration.