UFR SLHS, campus Mégevand, Besançon
Phrase, phrasé, rythme en enseignement et en recherche : penser/expérimenter le continu du discours PROGRAMME (528 Ko)
Colloque organisé par le Centre de Recherches Interdisciplinaires et Transculturelles (CRIT, EA 3224), Université de Franche-Comté
Musée du Temps, Besançon
19-20 mars 2020
Organisatrices
Anne Deffarges, Université de Franche-Comté, CRIT
Hélène Valance, Université de Franche-Comté, CRIT
Comité scientifique
Sylvie Aprile, Université Paris Nanterre
Gil Bartholeyns, Université de Lille
Laurence Dahan-Gaida, Université de Franche-Comté
Rémi Labrusse, Université Paris Nanterre
Laurence Reibel, Musée du Temps, Besançon
Daniele Rivoletti, Université de Clermont Auvergne
Marie-Jeanne Rossignol, Université Paris Diderot
Steven Sarson, Université Lyon III Jean Moulin
Appel à communications (cliquez pour télécharger l'appel en version PDF)
Brutus: “Peace! Count the clock.”
Cassius: “The clock has stricken three.”
William Shakespeare, Julius Caesar, II, i,193-94
A l’heure où la vérité historique, tournée en mystification complotiste ou soumise à la censure de nationalismes résurgents, est de plus en plus ouvertement menacée par le pouvoir politico-médiatique, il semble urgent d’interroger l’usage que nous faisons des retours plus ou moins imaginaires de l’histoire. Si l’on décrit souvent le 19ème siècle comme celui qui a vu se constituer l’histoire en tant que savoir, l’approche positiviste n’est pas, loin de là, la seule qu’aient pratiquée les historien.ne.s, penseur.se.s, artistes et écrivain.e.s de l’époque contemporaine. En marge d’une vision de l’« histoire » scientifique et rationnelle, se dessine en effet une représentation beaucoup moins disciplinée, beaucoup plus baroque du passé, marquée par la distorsion, la bifurcation, l’incohérence. Parmi ces aberrations, la figure de l’anachronisme semble particulièrement évocatrice. A première vue anecdotique et amusant, voire ridicule, les décalages de l’anachronisme ouvrent en réalité un vaste champ fertile de significations pour les chercheu.r.se.s de nombreuses disciplines.
L’anachronisme est souvent le premier indice d’une contrefaçon historique : il signale une réécriture parfois délibérée, parfois inconsciente mais qui est toujours le témoin de la projection du présent dans le passé à laquelle aucun.e historien.ne, même le.la plus consciencieux.se, ne semble pouvoir entièrement échapper. Il pose de manière incongrue la question de l’interprétation de l’histoire, des multiples relais entre passé et présent. Il affecte particulièrement le travail de traduction, comme on le voit avec les transpositions chrétiennes dans les traductions médiévales d’œuvres antiques, ou, plus récemment, dans l’introduction de termes médiévaux dans la version française de Game of Thrones, alors que le texte original de George R. R. Martin est écrit dans une langue très moderne. Pourtant, parce qu’il nous aide à nous identifier au passé et par là à mieux le comprendre, l’anachronisme n’est pas seulement une déviance, mais incarne plutôt une voie d’entrée particulière dans l’histoire. En ce sens, il invite aussi à une réflexion épistémologique pour l’historien.ne, si bien que certain.e.s en arrivent à en faire l’éloge (Loraux). En questionnant cette forme de réécriture, on pourra analyser les dialogues de la littérature ou des arts visuels avec l’histoire, pour se demander notamment comment ils écrivent l’histoire, quelle histoire ils écrivent, et dans quel rapport aux travaux plus spécifiques, scientifiques, des historien.ne.s (Jablonka). L’institution de l’histoire comme discipline a en effet eu pour grand rival l’essor simultané du roman, qui s’est imposé comme un outil essentiel pour décrire les transformations rapides de la société (comment ne pas penser ici à la Comédie humaine de Balzac, grande fresque de la société en train de se constituer). Elle a coïncidé également avec la naissance de la photographie, dont François Brunet a démontré qu’elle constituait une véritable histoire, mais aussi une contre-histoire. Sans céder à la théorie du reflet, on peut considérer que la littérature et les arts visuels, bien qu’ils ne constituent peut-être pas des sources historiques à strictement parler, peuvent être appréhendés comme une ressource précieuse pour l’histoire.
L’anachronisme permet d’interroger les notions de fiction et de réalité historique, en explorant les richesses de leurs croisements : la manière dont Patrick Boucheron explore la « concordance des temps » et la narration historique est à ce titre exemplaire. On s’intéressera, dans cette perspective, au potentiel créatif de l’anachronisme (Lowenthal) à travers les appropriations du passé dans les arts visuels et la littérature. Il s’agira, comme le suggère Pierre Bayard, de s’affranchir d’une conception linéaire de l’histoire, pour envisager la coexistence – discordante ou au contraire symphonique – de temporalités multiples dans une même œuvre (Didi-Huberman, Karlhom et Moxey).
Qu’il soit intentionnel ou bien inconscient, fruit d’une manipulation pensée ou d’un aveuglement ignoré, l’anachronisme est avant tout une vision du monde, au présent comme au passé, qu’il convient d’examiner comme telle. On s’attachera à examiner les enjeux politiques de l’anachronisme. L’anachronisme est souvent un passé qui parle au présent : on peut penser, par exemple, au Philippe Le Bel des Rois maudits de Maurice Druon, peint sous les traits du Général de Gaulle. Mais il peut en même temps être lu comme une résistance, comme la persistance d’un temps qui refuse de « passer », et qui nous façonne autant que nous le refaçonnons. En instrumentalisant le fait historique, l'anachronisme peut tenter de contribuer à la construction historique ou vouloir asseoir un discours dominant. Les romans de Zola en offrent un exemple frappant. Tout en étant parmi les premiers à accueillir le monde moderne dans son œuvre, le romancier fait entrer les questions nouvelles dans des problématiques datées : les personnages ont les sentiments d’individus vivant les débuts de la Troisième République, mais se meuvent devant un fond théâtral du Second Empire. Lorsque, par ses anachronismes, Zola pose comme question cruciale du moment le choix entre République et Empire, il contribue, en reflétant l’effort des dirigeants républicains, à canaliser les forces sociales dans cette voie politique, à créer un public qui raisonne ainsi. Cette approche, qui à la parution des romans de Zola avait fait polémique, a fini par s’imposer, au point qu’un lectorat plus éloigné dans le temps peut croire que la problématique exposée par Zola était celle du moment. Plus qu’une simple ressource historique, ses romans ont en réalité participé à écrire l'histoire.
L’anachronisme peut, inversement, se jouer de la censure, et permettre l’émergence d’analogies révélatrices et d’une critique « en creux », dont le sens se développe justement dans l’écart entre la vérité historique et ses réinventions. Ainsi, sous l'Empire allemand, l'auteur dramatique Gerhart Hauptmann et l'artiste Käthe Kollwitz transposent l'agitation sociale contemporaine, présente à l'esprit de tous, dans la révolte des tisserands des années 1840. Le théâtre et le cinéma jouent souvent ainsi des effets d’anachronisme dans la mise en scène. Le film Transit de l'Allemand Christian Petzold (2018) reste absolument fidèle, dans son récit, à l'histoire, aux personnages, aux dialogues même du roman d'Anna Seghers (1944), mais les transpose radicalement dans le cadre, le mode de vie, la situation actuels. Comme dans le roman, l'action se déroule à Marseille, les policiers sont français, les réfugiés allemands, l'envahisseur qui menace également allemand. L'action ne se déroule pourtant pas en 1940, mais aujourd'hui. Par ce décalage, et sans qu'il y soit fait la moindre allusion, le sujet se déplace vers la situation des migrants qui tentent aujourd'hui de traverser la Méditerranée. L'intérêt du film est alors autant dans la réception que dans la production, tant l'objectif du metteur en scène est ouvertement de faire réfléchir les spectateur.trices. L’actualité de cet exemple pose aussi la question de sa pertinence future : si les circonstances viennent à changer, le film ne serait absolument plus compris de la même manière. Paradoxalement, l’anachronisme est à la fois à contretemps et fondamentalement de son temps (Agamben).
Convaincues que le thème de l’anachronisme peut, par sa nature même, ouvrir à des débats fructueux au-delà des frontières disciplinaires, nous espérons que cet appel suscitera l’intérêt de nos collègues dans des champs de recherche variés. Nous invitons les chercheur.se.s, quelles que soient leur discipline et leur aire géographique ou période de spécialité à soumettre leur proposition (une page maximum) avant le 15 octobre 2019 à Anne Deffarges et Hélène Valance :
anne..fr
helene..fr
Bibliographie indicative
Giorgio Agamben, Qu’est-ce que le contemporain ? Paris : Rivages, 2008.
Pierre Bayard, Le Plagiat par anticipation. Paris : Editions de Minuit, 2009.
Patrick Boucheron et Vincent Casanova, « L’histoire pour espacer le temps. Entretien avec Patrick Boucheron », Écrire l'histoire 11 (2013), 75-86.
Patrick Boucheron, Léonard et Machiavel. Paris : Verdier, 2008.
François Brunet, La Photographie histoire et contre-histoire. Paris, PUF, 2017.
Georges Didi-Huberman, Devant le temps. Histoire de l'art et anachronisme des images. Paris : Editions de Minuit, 2000.
Ivan Jablonka, L'Histoire est une littérature contemporaine. Manifeste pour les sciences sociales. Paris : Seuil, 2014.
Dan Karlhom et Keith Moxey (dir.), Time in the History of Art Temporality, Chronology and Anachrony. Londres: Routledge, 2018.
Nicole Loraux, « Éloge de l'anachronisme en histoire », Le Genre humain 27 (1993), p. 23-39; repris dans Les Voies traversières de Nicole Loraux. Une helléniste à la croisée des sciences sociales, 2005, p. 127-139
David Lowenthal The Past Is a Foreign Country. Cambridge : Cambridge University Press, 2015.
Jacques Rancière, « Le concept d'anachronisme et la vérité de l'historien », L'Inactuel 6, (1996), p.53-68.
Maud Sérusclat-Natale
Doctorante associée à MA avec GRANIT, scènes nationales, laboratoire Praxiling UMR 5267. Université Montpellier III
Dans le cadre de ce séminaire nous proposons de questionner un projet artistique participatif mené avec une scène nationale et une centaine d’élèves allophones âgés de 10 à 19 ans dans la région de Montbéliard-Belfort en 2016/2017. Pendant huit mois, six artistes européens plurilingues issus de diverses disciplines (arts plastiques, poésie, cinéma, musique et théâtre) se sont interrogés avec les participants sur les langues et leurs rapports à l’identité et à l’altérité. Ensemble, qu’ils soient récemment arrivés en France ou nés ici, et quelles que soient leur(s) langue(s), ils ont partagé et exposé la capacité de (se) dire et de dire le monde en créant « PARLEMONDE[1] ».
Nourri par les recherches en sciences du langage et en didactique des langues et des cultures des vingt dernières années, PARLEMONDE place au centre de sa dynamique le plurilinguisme et la reconnaissance des répertoires langagiers de chacun (Coste, Moore & Zarate 1997, Coste 2010), et mise sur la valeur esthétique et patrimonialisante (Rigaux, 2012) d’une telle diversité, trop souvent invisibilisée ou stigmatisée. Conçu d’abord comme un projet participatif saisonnier, construit en partenariat avec l’éducation nationale (CASNAV et DAAC[2]), PARLEMONDE devient, au fil de l’expérience humaine, sociale et linguistique des rencontres qu’il a suscitées, un festival déployé en biennale et un axe fondateur du projet artistique global de la structure visant à promouvoir et susciter l’inclusion.
Comment ce type de projets fondés sur la coopération peuvent-ils participer à révéler puis déconstruire les représentations sociales (Jodelet, 1991) liées à l’altérité linguistique et culturelle ? À quelles conditions ? Comment le thème de l’accueil et de la diversité, lorsqu’il est artistiquement traité à travers la reconnaissance des langues de tous, permet-il de mettre en lumière ce qui nous rassemble ?
Nous proposons de revenir sur la trajectoire particulière de ce projet, devenu à la fois un objet de recherche, un instrument de lecture et de valorisation d’un territoire multilingue frontalier marqué par les migrations liées à son identité industrielle séculaire, et un outil de médiation mouvant, construisant au cœur de la Cité, un autre rapport à l’altérité et à l’art, pour tous.
[2] CASNAV : Centre Académique pour la Scolarisation des élèves Nouvellement Arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de Voyageurs.
DAAC : Délégation académique à l’action culturelle.
Maud Sérusclat-Natale est professeure certifiée de lettres, FLE/FLES et de théâtre. Elle a enseigné en classe ordinaire et en dispositif d’accueil (UPE2A). Elle est depuis 2015 co-coordinatrice du CASNAV de l’académie de Besançon (Centre académique pour la scolarisation des élèves nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes ou de voyageurs) et professeure missionnée par la délégation académique à l’action culturelle (DAAC) de l’académie de Besançon auprès de la scène nationale de Montbéliard « MA ».
Elle travaille actuellement sur le corpus recueilli lors du projet artistique PARLEMONDE dans le cadre d’un doctorat CIFRE en sciences du langage intitulé « Processus de création artistique et développement des compétences langagières des élèves allophones : détour ou recours ? » dirigé par le professeur Nathalie Auger.
5 mars 2019
Atelier de linguistique: Sandra Nossik, "Des chiffres et des lettres".
Mardi 5 mars de 17 à 19h au CRIT
Organisé par Ida Hekmat et Anne-Sophie Calinon
A l’heure où des algorithmes déterminent nos goûts et nos couleurs, et où les attentes de résultats quantifiables et évaluations chiffrées régulent tous les domaines professionnels, on rappellera comment divers travaux d’Analyse du Discours appréhendent ce Discours des Chiffres omniprésent. Cette séance sera aussi l’occasion de retourner le questionnement et d’interroger la place des Chiffres dans nos disciplines et pratiques de recherche.
4-5 avril 2019
Colloque international "Forme et diagramme. Problèmes de morphogenèse dans la pensée, l’art et la nature".
Université de Franche-Comté - UFR SLHS
18 rue Chifflet - Grand Salon
Besançon
Présentation
L’idée d’un accord entre la cognition et le monde phénoménal traverse toute l’histoire de la modernité philosophique. Cet accord, c’est d’abord celui que l’on tente de penser entre l’esprit et la nature. C’est ensuite celui que l’on recherche comme convergence et concordance entre la création poétique et la production naturelle. C’est enfin celui que l’on s’efforce de penser comme ajustement de la pensée aux exigences de la vie. Si l’on admet cette idée d’un accord entre les formes naturelles et les formes de la pensée, comment franchir le hiatus phénoménologique entre ces deux versants de la réalité que tout, dans notre culture, nous a appris à opposer ? Le but de ce colloque sera de réfléchir aux modes possibles d’articulation entre cognition et production phénoménale en prenant comme pierre de touche une forme particulière de cet accord : la pensée diagrammatique.
En tant que mode majeur de l’avènement de la pensée dans l’intuition, via un support d’inscription, le diagramme peut en effet être envisagé comme une opération morphogénétique : vecteur de la pensée et médiateur de l’action, il consiste à esquisser une idée qui se cherche à travers différents gestes et différents tracés, avant de prendre forme dans les figures passagères d’une formation plus large qui les intègre et les dépasse toutes. Trace d’une séquence de gestes qu’il ne fait pas apparaître mais qu’il symbolise et comprime, le diagramme est aussi attente et tension vers une autre série de gestes qu’il suggère mais qu’il ne détermine pas : c’est pourquoi Gilles Châtelet parlait à son propos de « stratagème allusif ».
Par quoi le diagramme se rapproche du spectre, si l’on entend par ce terme une disparition. Le diagramme désigne alors une image survivante qui spectralise – dans une figure esthétique, un dessin technique, une planche encyclopédique, un schéma conceptuel, une formule symbolique ou encore une simulation informatique – un ensemble d’informations structurées. Ces informations synthétisent nos connaissances dans des systèmes de notations qui les abrègent pour les rendre plus facilement et plus rapidement accessibles. Elles visent en outre à guider notre action dans le monde, ainsi qu’à nous aider à en anticiper l’évolution et la dynamique. Un tel processus de conception et de production embrasse des dimensions à la fois affective, esthétique, cognitive et pratique, qu’il intègre dans une série de cycles transformateurs où l’action féconde la pensée et où la pensée schématise l’action. On appellera ce processus diagrammatisation.
Dès lors, il s’agira d’étendre la question initiale de l’accord entre esprit et nature, poésie et production, pensée et vie, au rapport de la culture à l’histoire, en examinant non plus seulement la dimension spatiale de l’accord entre cognition et monde phénoménal, mais également sa dimension pleinement temporelle et collective. Cela permettra d’aborder la question du diagramme dans une perspective ontogénétique, anthropologique et sociohistorique. L’enjeu devenant alors celui de penser la façon dont toutes les formes communiquent sur un mode non finalisé mais non dépourvu d’ordre, afin de comprendre comment la morphogenèse diagrammatique opère à toutes les échelles : matérielle, biologique, culturelle et historique.
L’un des objectifs de ce colloque sera donc de confronter des théories en provenance de différentes disciplines (biologie, design, esthétique, informatique, intelligence artificielle, mathématiques, philosophie, sémiotique, etc.) en vue d’élaborer un modèle d’intelligibilité capable d’articuler les différentes dimensions et échelles des processus de morphogenèse. Il sera donc ouvert aux chercheurs de toutes les disciplines dont on voudrait favoriser le dialogue et la confrontation.